Contre la dictature de la conjoncture, la finance doit aider les PME à traverser les cycles

L’horizon des acteurs qui font la solidité de notre économie va bien au-delà d’un cycle économique et traverse les générations. La finance doit aider les entreprises à traverser ces cycles, pour leur assurer pérennité et croissance durable. Par Fanny Letier et François Rivolier, cofondateurs de Geneo Capital Entrepreneur.

A l’approche de la rentrée, les marchés financiers sont fébriles et la volatilité fait rage. Guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, panne de la croissance allemande, atermoiements autour du Brexit, tensions politiques à Hong-Kong, inversion de la courbe des taux… les sources d’incertitude ne manquent pas.

Le cycle économique actuel toucherait-il à sa fin ? Les 12 phases d’expansion depuis la Seconde Guerre mondiale ont duré 61 mois en moyenne. Le cycle actuel, au rythme de croissance plus faible (22% en 10 ans contre 45% pendant la décennie précédente), dure depuis plus de 10 ans.

Les dirigeants politiques se sont mobilisés au cœur de l’été pour tenter de rassurer
tout le monde. Donald Trump assure que les négociations avec la Chine « vont de l’avant ». L’organisation de planification du gouvernement chinois annonce des mesures de soutien à la consommation. Angela Merkel, face aux derniers chiffres du PIB allemand (-0,1% au deuxième trimestre), brise le tabou de l’équilibre budgétaire (« schwarze null ») et se dit prête à une relance économique par la dette.

Dans cet univers incertain, les grandes entreprises cotées commencent à lever le pied sur les investissements. ArcelorMittal, premier sidérurgiste mondial, vient ainsi d’abaisser le 1er août sa prévision de demande mondiale d’acier. Comment alors éviter l’effet auto-réalisateur de ce type de raisonnement ?

Refuser la dictature du cycle de la conjoncture

Hormis pour les spécialistes de l’arbitrage des marchés, les commentaires de l’actualité et de l’évolution des marchés, et l’anxiété qu’ils génèrent ne sont pas de bons guides pour l’action. Pour construire dans la durée, pour vivre avec optimisme, pour oser l’ambition, pour penser fort et loin, il faut des ancrages de long terme.

L’horizon des acteurs qui font la solidité de notre économie, qui construisent pour le futur, va bien au-delà d’un cycle et traverse les générations. Prendre conscience d’un possible retournement de cycle est bien sûr important. Mais geler tout décision en attendant l’issue de ces phénomènes incertains ou se déterminer en fonction des cycles économiques ou financiers est un non sens économique, et n’aboutit qu’à de la contre-performance.

Les entreprises familiales l’ont bien compris, elles qui, par tous les temps, restent constantes dans leurs investissements. Elles sont ainsi les plus résistantes en période de crise (cf Bpifrance « Ouvrir son capital pour durer : les PME et ETI familiales face à l’ouverture de capital », p.16).

La responsabilité des dirigeants politiques n’est pas seulement de repousser toujours plus loin une fin de cycle. Elle est aussi de fixer ces caps de long terme, de permettre ces ancrages et ces projections. Où serons-nous dans 20 ans ? Quelle éducation pour nos enfants ? Quel système de santé ? Quelle ambition pour l’industrie ? Quel mix énergétique ?

Et comment s’organiser pour atteindre ces buts ? Comment chaque année poser une pierre dans cette direction ? Quel que soit le cycle économique, ce sont des choix de société dont le collectif a besoin pour avancer. C’est ce qui redonnera à tous énergie et optimisme, et la force de traverser les intempéries lorsqu’elles se produiront.

Réinventer la finance autour du cycle de l’entreprise

La déconnexion entre finance et économie réelle est devenue problématique : elle aggrave l’intensité des crises et, pire, détourne les entreprises de leurs objectifs de long terme. L’optimisation à court terme écarte de la performance de moyen et long terme, et nuit à l’emploi. Les choix fondés sur des raisons fiscales ou sur l’exploitation de phénomènes financiers volatils viennent obérer les investissements productifs pour l’avenir.

La finance doit pouvoir s’adapter aux cycles naturels de l’entreprise : son cycle long,
celui de la vision qui lui assurera pérennité et croissance durable ; son cycle moyen, qui résulte de son marché, de ses contrats, de ses investissements ; et son cycle court, celui de sa trésorerie. Chaque entreprise a ses propres durées de cycle et doit donc être traitée sur mesure.

La finance doit aider les entreprises à traverser les cycles, et pour cela lui apporter
flexibilité et patience si le cycle dure, et à l’inverse une grande réactivité si les opportunités se présentent, quel que soit le moment, parce que dans la concurrence mondiale, les plats ne repassent pas deux fois.

Cette finance « evergreen » existe : c’est celle des family offices, qui continuent à investir régulièrement et par tous les temps, c’est celle des caisses de retraite, qui raisonnent pour les générations futures. Elle a fait ses preuves en termes de performance (Bain & Company, Global Private Equity Report 2018). Elle est encore sous-développée, notamment en France.

La finance « evergreen », c’est la finance positive, la finance d’avenir.

Celle qui donnera à tous les dirigeants bâtisseurs les moyens de leur ambition.
Celle qui s’adaptera non pas aux cycles économiques mais au cycle naturel de l’entreprise.
Celle qui libérera les dirigeants Bâtisseurs de toute fébrilité pour leur donner la confiance nécessaire à la réalisation de leur rêve entrepreneurial.
Celle qui permettra à nos PME d’investir pour oser la croissance, l’innovation et
l’international et créer les emplois d’avenir.
Celle qui les aidera à superposer les temps pour concilier vision et réalisation, performance et agilité, en confiance et au bon rythme.

Et donc celle qui générera, en réalité, les meilleurs niveaux de performance à long terme.

Source : La Tribune (02/09/19)

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