Déconfinement : donner du sens à la reprise
photo de Nathalie Oundjian
Par Fanny Letier et François Rivolier
Pour François Rivolier et Fanny Letier, cofondateurs de Geneo Capital Entrepreneur, la capacité de rebond des entreprises sera intimement liée à la définition de leur raison d’être.
A la tête de Geneo Capital, une société d’investissement dans les PME et ETI, Fanny Letier et François Rivolier jugent que le collectif humain fera la différence demain.
Passé le choc des premières semaines, vient le temps de la prise de recul.
Cette crise n’est pas celle de 2008. Parce qu’elle a mis toute l’économie mondiale à l’arrêt, et plus d’une moitié de l’humanité en confinement, ses conséquences vont être longues et profondes. En France, l’activité économique a chuté de 36 % au global, dont 43 % dans l’industrie, 88 % dans la construction et 90 % dans l’hébergement et la restauration, ce qui devrait se traduire par une récession de 8% en 2020. Il faudra être résilient, tenir dans la durée, pour mieux rebondir.
Surtout, cette crise nous met face à nos interrogations existentielles personnelles et sociétales. Elle touche chaque personne dans son for intérieur, dans son vécu quotidien. Les retours d’expérience de Chine [1] mais aussi les études de spécialistes européens et américains [2] montrent que l’impact sur la santé psychologique des collaborateurs est extrêmement important. Et qu’en tout état de cause, le rapport au travail a déjà changé.
La construction des stratégies de rebond ne pourra donc pas faire l’impasse sur l’essentiel : le capital humain, trésor de toute entreprise. Dans la plupart des cas, il a été affecté. Pour redémarrer, il nous faut remettre l’humain au centre.
Remettre l’humain au centre, cela veut dire bien sûr accompagner la reprise. Dans toutes les entreprises des actions sont d’ores et déjà déployées pour assurer la sécurité des collaborateurs, par la prolongation du télétravail ou la mise en place des dispositifs sanitaires appropriés.
Innover pour répondre aux attentes sociétales
Mais pour créer l’élan du rebond, l’énergie qui nous fera dépasser cette crise, cela ne suffira pas. Il faut donner du sens à la reprise. Reprendre oui, mais comment, et pour quoi faire ? Qu’avons-nous appris, réalisé, mûri pendant cette période si particulière ? Comment susciter l’engagement de tous dans cette dynamique inédite de reprise d’activité, qui ne fait suite ni à une guerre, ni à une catastrophe naturelle ou financière ? Quel sera le cap, le moteur de l’entreprise et de chaque collaborateur ?
Qu’on l’appelle raison d’être, engagement, utilité, cette crise pose la question du sens et de l’impact de chaque entreprise, qui font la motivation intrinsèque des collaborateurs.
La pandémie a interpellé nos modes de consommation, nos choix d’organisation, nos stratégies de production et de localisation. Elle a donné à voir l’ampleur des défis sanitaires et environnementaux auxquels nous faisons face. Notre société va devoir repenser son modèle de développement, imaginer un nouveau contrat social, remettre la santé, l’environnement, l’humain au coeur de nos modèles de croissance, se replacer dans le temps long, répondre à la montée des inégalités, questionner le partage de la valeur.
Il appartient à chaque entrepreneur de prendre la mesure de ces changements et d’innover pour répondre aux attentes sociétales.
La raison d’être, un point d’ancrage
Les entreprises qui se sont déjà dotées d’une raison d’être, c’est certain, sortiront plus fortes de cette crise. Il faudra l’affiner, la faire vivre, et peut-être évoluer dans le temps, mais le socle de base existe, qui donne un point d’ancrage formidable aux collaborateurs. Car ces entreprises connaissent leur contribution au monde de demain, et cette perspective constitue le plus puissant des moteurs de l’humain au travail.
Pour les autres, c’est le bon moment de la formuler, cette fameuse raison d’être. Tout entrepreneur sait parfaitement pourquoi il se lève le matin. Choisir d’être entrepreneur, c’est quelque part, s’engager dans la cité. Parvenir à formuler ce ressort formidable et à le partager avec ses collaborateurs, c’est déjà, comme M Jourdain, sans le savoir, se donner une forme de raison d’être.
La reprise ne se fera pas sans un collectif humain. Nos équipes, nos fournisseurs, nos clients, notre écosystème régional et sectoriel : c’est l’alliance de toutes les parties prenantes qui forgera notre capacité de rebond.
Anticiper, préparer le rebond, c’est donc créer le collectif humain qui fera la différence.
C’est porter une vision positive pour le monde de demain.
C’est peut-être, au fond, le plus stratégique et le plus engageant des projets.
C’est être une entreprise positive.
[1] Centre de santé mental de Shanghai, Qiu J., Shen B., Zhao M et al. « a nationwide survey of psychological distress amond Chinese people in the COVID-19 epidemic : implications and policy recommendations », General psychiatry, February 2020
[2] Voir notamment « A psychological impact of quarantine and how to reduce it : a rapid review of the evidence » The Lancet (26 février 2020) et le communiqué de presse de l’INSERM du 13 février 2020, « Stress post-traumatique : nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma »